Ce qui remonte à la surface II : L’écriture

Si on veut être cynique, il est possible de classifier les écrits sur internet – par exemple les statuts facebook – en deux catégories : les plaintes et la vantardise. Regardez comme je fais pitié /  regardez comme je suis admirable. Pleurez sur mon sort / applaudissez-moi. Aidez-moi / admirez-moi. Longtemps je voyais tout en ces termes binaires, comme si tout ce qui s’écrivait dissimulait un unique désir : celui d’être aimé.

Je crois qu’il s’agit d’un mode de lecture contaminé par le mépris ou l’envie – se croire supérieur ou se sentir inférieur à celui ou celle que nous lisons. Il faut cesser de se comparer, mettre à off notre machine à donner des conseils et notre machine à rabaisser, notre vanité et notre jalousie. Sur internet comme ailleurs il n’y a que des expressions de soi, des gens qui partagent ce qu’ils ressentent – et cela est beau. Ces jours-ci, les statuts qui pleuvent sur facebook m’apparaissent comme de la poésie. Je ne perçois que chaleur humaine à travers les radiations de la machine. Tout dépend de l’angle d’approche, ou peut-être que j’abuse du café.

Ce qui suit est la deuxième partie d’une trilogie sur les idées qui remontent à la surface depuis que je vis seul : il entrera dans la catégorie du positif. Je me réjouirai de mon propre sort. On peut le lire comme de la vantardise, ou comme une expression de joie. Ceux que la joie insupporte feraient mieux de s’enfuir dès maintenant.

Je parlerai d’écriture.
Je n’ai aucune envie de parler d’écriture. J’en ai trop parlé, je me méfie de ce sujet.
Par contre j’ai envie de parler du fait que je n’ai plus envie d’en parler.
Alors, j’en parlerai autrement.
Je n’analyserai rien.
Je raconterai.

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J’enregistre un autre changement important dans ma vie depuis la rupture : j’ai envie d’écrire des histoires. Mieux encore, je suis enfin capable d’être satisfait de ce que j’écris, plutôt que de ressentir un intense dégoût qui me donne l’envie de tout balancer aux poubelles, comme c’était le cas auparavant. Je n’ai jamais eu de problèmes à écrire des textes de réflexion, mais les histoires ont toujours été très difficiles pour moi.

Je joue avec l’idée d’écrire de la fiction depuis dix ans. C’est une vieille ambition. Elle a connu toutes sortes de faux départs et d’enlisements. J’ai fait plusieurs tentatives. Deux romans, le premier très court et le second inachevé, environ 150 pages de nouvelles incomplètes, abandonnées. Mais en plus de cela, des centaines des pages de réflexion sur l’écriture, la littérature, la fiction, sur la difficulté d’écrire, dans mon journal ou sur mon blogue. Des années à me torturer à coup de « il faudrait écrire », à me morfondre parce que je n’écrivais pas. Je bloque, je débloque, j’avance, je recule, je passe des années sans rien écrire d’autre que des préparations de cours et un résumé factuel de ma vie. Mais le rêve demeure. Un jour, devenir écrivain.

Je constate depuis quelques temps des progrès, des nouveautés surprenantes. Les écrivains me diront que rien de cela n’est étonnant, que c’est dans l’ordre des choses. Pour moi ce sont des déblocages majeurs, des sources de grande joie.

Énumération des signes positifs.

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Lorsque Ed Hardcore m’a offert de participer à Terreur! Terreur!, La fille du Bic est apparue d’un seul coup dans mon esprit. Le ton, le style, la structure entière ont fait « pop ». Tout était en place. Un moment d’inspiration pure, tel que j’en connais rarement.

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Pendant que j’écrivais La fille du Bic, j’ai dû m’interrompre en pleine séance d’écriture pour sortir au cinéma. Toute la soirée, j’étais distrait, agité, incapable de tenir en place, je n’avais qu’un désir en tête : retourner chez moi le plus vite possible pour compléter mon histoire. J’étais enthousiaste, excité par l’idée de le faire. Je voulais le faire. Je n’ai pas ressenti ce désir depuis mon enfance, impatient de revenir à la maison après l’école pour conclure une bande-dessinée. Avoir envie d’écrire une histoire! Sans avoir à me forcer! Miracle!

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Après avoir écrit cette histoire, la première chose qui m’est venue en tête est la très forte envie d’en écrire une autre. Une histoire semblable mais qui va plus loin. Subitement l’écriture me paraissait comme un champ de possibilité infini – plus ouvert après avoir terminé le texte qu’avant de le commencer. Mais en plus de l’ouverture de ce champ, je savais d’instinct où aller ensuite. Après le deuxième texte, le champ s’était encore ouvert davantage, et je voyais clairement deux chemins vers deux autres textes – déjà prêts, qui m’attendaient. J’ai trouvé un point d’entrée dans la fiction, une brèche, une ouverture qui conduit dans des passages ramifiés. Des veines à exploiter. Cela est totalement nouveau. Au cours des dernières années, j’avais l’impression de buter sur un mur à répétition, je me forçais à recommencer, je me frappais la tête sur le mur comme si j’allais finir par passer à travers. Je finissais par abandonner, la tête en sang. La fiction était un domaine clos et je ne comprenais pas pourquoi, alors que durant mon enfance je dessinais des tas de BD. Je me perdais alors dans l’analyse des causes de ma paralysie. Maintenant je sens que j’avance.

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J’ai écrit ma deuxième histoire, La plus belle fille de la classe, presque d’un seul jet, sans rien planifier, mais je vois que je m’y suis préparé. Elle n’est pas venue d’un seul coup, mais mon esprit a préparé cette histoire pour moi. J’y ai pensé pendant plusieurs jours, lors des moments d’ennui, en attendant l’autobus, dans la douche, avant de m’endormir. Je dérivais dans cette histoire sans le décider. J’ai amplifié cela en me replongeant dans l’ambiance de cette époque, en relisant mon journal de 2002. L’histoire prenait forme dans un repli de mon esprit sans que je n’aie grand chose à faire. Comme si j’étais utilisé par elle, pour qu’elle puisse se développer et grandir. Pendant cette gestation, je ressentais un sentiment de calme. Je savais que l’histoire s’en venait et sortirait bientôt. Je n’avais pas d’inquiétude à en parler, à dire « ça s’en vient! ». La grande nouveauté est que pour une fois, je n’avais pas l’impression de procrastiner même si je n’écrivais pas. Je ne faisais qu’être patient et attendre le moment propice. C’est la même chose en ce moment, alors que j’en attends une troisième.

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J’ai relu ma première tentative de roman, à la recherche de matériel pour écrire La plus belle fille de la classe, et tout à coup, je voyais très clairement ce qui était bon et ce qui ne l’était pas, sans avoir besoin d’analyser ou de réfléchir, comme si les bons passages clignotaient en bleu et les mauvais en rouge. Cela sautait aux yeux. Une vue intuitive directe de ce qui peut servir et ce qui doit être jeté. Vision impitoyable et fulgurante. Il est très difficile d’expliquer le critère intuitif que j’utilise désormais. Je le résumerais avec ceci : la différence entre « ce qui se passe » et « ce que le personnage désire », le réel et la conscience. Dans mes anciens textes, tout cela était entremêlé, confus. Partout s’insinuait ma colère, ma rage, autant dans les dialogues que dans la narration. À présent, j’élimine tout ce qui est vise à faire passer le personnage (et l’écrivain) pour une victime, tout ce qui vise à accuser le monde, tout ce qui jetait un blâme. Je retire le ressentiment, la mauvaise conscience. Je retire le jugement moral, la révolte adolescente. Je la sépare de la véritable souffrance. Il s’agit de séparer, de couper les émotions et les idées. Ne demeure que l’ambiguïté, l’ambivalence, la tension – et la beauté. Ce qui me permet de faire cela, c’est un pouvoir magique que je n’avais pas à l’époque. Cela s’appelle la distance. Je suis plus vieux, c’est tout – je ne suis plus le visage écrasé contre ma propre vie. Je n’analyserai pas davantage – c’est déjà aller trop loin. L’important est que j’ai enfin réussi à récupérer du vieux matériel. Subitement, toute cette masse de tentatives avortées accumulées m’est apparue comme une richesse incroyable. Sans compter mon journal personnel que je rédige depuis douze ans, dans lequel je peux désormais puiser.

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Un dimanche matin, j’ai fait le ménage de l’appartement, l’esprit rempli d’images et de sensations à propos de La plus belle fille de la classe. J’étais prêt, l’impatience de m’asseoir devant mon ordinateur était forte. Je me suis lancé. Environ cinq heures plus tard, j’avais terminé. J’avais oublié de dîner. Je suis sorti de mon bureau en plein milieu de l’après-midi, l’estomac qui gargouillait, faible et chancelant, étourdi. Je savais que j’avais réussi à faire ce que je voulais faire. Le sentiment de fierté et de satisfaction intense que j’ai ressenti à ce moment dépasse même ce que je ressens après avoir donné un bon cours – et je compare pourtant cela à un high de drogue, une salve de puissance et de joie intense hyper concentrée. J’ai passé le reste de l’après-midi à réviser le texte, à le peaufiner. Après, en soupant devant un concert live de Mogwai sur ma télé, je me disais que je venais de passer la meilleure journée seul que j’avais passée depuis des années. Sans que ça ne me coute une cenne. Sans l’aide de personne. Tout me semblait justifié. Rien d’autre ne semblait avoir d’importance. Être content d’avoir écrit une histoire, sentir que c’est bon et que je pourrai la partager avec les autres – rien n’égale ce sentiment d’accomplissement. Je ne connaissais pas cela. Un texte théorique ne donne pas un aussi fort sentiment de plénitude. Si ce n’est pas la motivation majeure pour écrire, je ne sais pas ce qui pourrait l’être. Je veux à tout prix ressentir cela à nouveau.

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J’ai l’impression d’avoir plus appris sur l’écriture de fiction pendant que j’écrivais ces deux textes que durant les longues années qui précèdent. Je sens que j’en apprendrai encore plus dans le prochain. Sentir qu’on apprend, qu’on se développe, qu’on s’améliore – et qu’on pourra le faire à l’infini parce qu’on ne peut jamais maîtriser parfaitement l’écriture, cela aussi est une grande source de joie. Et sans avoir besoin de se comparer à quiconque, voilà qui est encore mieux.

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Enseigner la philosophie au collégial demande de multiplier les exemples et pour capter l’attention des étudiants je transforme mes exemples en mini-récits, en histoires. En fait, plus je les raconte, plus les histoires gonflent d’elles-mêmes. J’en rajoute, j’en mets, j’exagère. Je me suis découvert un talent de conteur – toutes les méthodes sont bonnes pour faire réagir mon auditoire. Ces techniques que j’ai développé ont dû se transposer dans l’écriture sans que je ne le réalise.

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Je n’ai plus aucune envie de réfléchir à l’écriture. J’ai seulement envie de raconter. Chercher pourquoi écrire ne m’importe plus. Cela est caché quelque part dans les textes mais les textes ne parlent pas que d’écriture – ils parlent d’abord de la vie. J’aime bien, par contre, raconter comment j’ai procédé (comme je fais en ce moment), et ce que j’ai envie de faire ensuite. Cela m’encourage à continuer, me donne hâte à la prochaine séance d’écriture.

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Je ne me demande pas si mes textes sont bons ou mauvais, dans l’absolu, pour les autres, pour la publication, pour un critique éventuel. Je me fie à mon intuition qui me dit que ça fonctionne ou non, et j’ignore tout le reste.

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J’ai encore des tas de doutes, d’incertitudes, de peurs. Cela existe avant de commencer un texte, comme le trac avant de donner un cours. On ne sait pas si on sera capable de réaliser notre idée, ou si notre idée est bonne, si ça fonctionnera. Je fais comme si cela n’existe pas, j’ignore ces hésitations. C’est sans intérêt. Après avoir écrit, les failles seront évidentes et ce qu’il y aura à faire, ce sera de faire mieux la prochaine fois. Le prochain texte est plus important.

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J’éprouve maintenant un dégoût intense pour la classification en genre littéraires. À deux reprises on m’a demandé de justifier le genre de l’autofiction. Je n’ai pas écrit en songeant à cette catégorie. Je ne dirai rien là-dessus. Je laisse ce travail à d’autres. Je ne suis pas un théoricien de la littérature. J’aime la théorie qui a pour objet la réalité et le sens : cela s’appelle la philosophie. Pour ce qui est de la littérature, je préfère en lire, et tenter d’en écrire. C’est la vie qui m’intéresse, c’est le sens que je vise à travers le texte : la littérature comme objet ou phénomène social n’est pas intéressante à mes yeux (ou en tout cas, moins que la vie elle-même).

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Il y a tout de même un aspect négatif à tout cela : je ressens une forte impatience à être lu, reconnu, apprécié, et je suis hostile à ceux qui ne comprennent pas ce que je fais. C’est normal. C’est un moindre mal. Cela ne doit pas occuper le centre. Je vais faire avec. Pour atténuer cela, je crois que tout écrivain a besoin d’au moins un fan inconditionnel. Quelqu’un qui nous soutiendra peut importe ce que nous faisons. J’en ai, donc je suis équipé pour être patient. Je préfère de loin la frustration de ne pas être lu, reconnu ou publié que la culpabilité écrasante et la léthargie mortelle de ne pas écrire, ou plutôt, de ne rien pouvoir écrire. Puisque lorsque je n’écris pas, maintenant, des textes se préparent malgré tout.

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La cause de ces changements? La rupture, la séparation, l’ouverture qui s’ensuit, la nécessité de penser ma propre vie en termes narratifs : une histoire avec un début, un milieu, une fin. J’ai raconté ma rupture à beaucoup de gens depuis novembre passé. En comprenant la nécessité vitale de la narration pour donner du sens à notre existence, cela m’a ouvert les yeux sur l’écriture de fiction. Je comprends qu’une histoire n’est pas qu’une suite d’événements chaotiques, ce n’est pas que l’expression d’un soi, mais qu’elle est à propos de quelque chose. Je le sens clairement parce que ma propre vie est compréhensible de cette manière. Je reste intentionnellement vague. Je ne veux pas développer d’esthétique littéraire et surtout pas ouvrir de débat sur le sujet. Seulement, je sais maintenant ce qu’est une histoire parce que je viens d’en vivre une au complet – je viens de vivre une fin.

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Voilà en gros les nouveautés.

Avec les amis et mon travail de professeur que j’adore, cela compose une vie qui se tient, somme toute, assez bien.

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À venir sur Darnziak :

– La finale de la trilogie des choses qui remontent à la surface, un texte de philosophie hardcore à propos de la liberté et de la nécessité.

– Musique souterraine III – Mars 2012. Sombre épique mélancolique.

À venir sur Terreur! Terreur! :

– Une troisième histoire d’échec amoureux geek.

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Une Réponse to “Ce qui remonte à la surface II : L’écriture”

  1. Pink Says:

    Belle lancée! Impatiente de lire ce qui s’en vient : )

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