Ma sœur fait parfois peur aux enfants alors qu’elle est plus douce qu’un chat. Elle vit la nuit reliée en permanence à son Macbook et son Blackberry bourdonnant. Sur facebook passé minuit elle est toujours là pour lire mes angoisses répétitives, pour me rassurer et me remonter le moral. Ma sœur est ma grande sœur. Du mieux que je peux je tente d’être aussi un grand frère pour elle. On s’envoie des messages de soutient pour passer à travers le quotidien trop difficile pour nous. On s’encourage à se lever, dormir, écrire. On s’envoie à répétition ce visage de pixel qui signifie « Go! Vas-y! T’es capable! Lâche pas! »
Ma sœur est ma petite sœur et mon rôle est de lui donner de la force. Nous sommes de la même famille d’êtres qui ne cadrent pas parfaitement avec le monde. Inadéquats selon les standards des autres. Nous devons incarner le positif pour ne pas être emporté par la noirceur.
Ma sœur en sait plus sur moi que n’importe qui. Je lui ai tout raconté le passé et le présent se raconte au fur et à mesure que je le vis. Elle est toujours là durant les partys sans rien boire ni juger personne. Elle n’est jamais très loin. Sur facebook on se souhaite bon matin à midi, on se souhaite « Bonwi » à 3 heure du matin, depuis huit mois je n’ai jamais passé une journée sans lui parler. À répétition j’éclate de rire devant mon écran devant la quantité effroyables de niaiseries qu’on s’échange. Elle s’inquiète toujours pour moi.
— Ail. Jean-Philippe.
— Quequoi?
— Je pense que tu devrais diminuer ta consommation.
— Hein, quoi? J’ai rien bu! Rien, rien! Y’a même pu de bière dans le frigo!
— Le coke, c’est pas bon pour les dents.
— Ah!
Souvent je saute sur un bixi et débarque chez elle. Longtemps il n’y avait pas de meubles et on s’asseyait sur son lit comme dans nos chambres d’enfants pour parler des heures et jouer au Super Nintendo. Ses cheveux sont verts, sa peau est blanche, elle est toujours vêtue en noir, ses yeux sont noircis de maquillage. Ma sœur est une sylvidre. On est tous les deux super maigres. Maintenant pour entrer chez elle il faut passer par la ruelle et les plafonds sont hauts comme dans un manoir deluxe.
Sur la boîte de carton qui contenait son Nintendo elle avait inscrit « les affaires les plus importantes de toute la vie ». Elle est meilleure que moi à Super Mario World mais je suis meilleur à Megaman. Ma petite sœur est fatiguée et ne dort pas bien, comme moi, mais elle ne se drogue pas au café. Elle se drogue à rien du tout. Elle sera souvent la première à lire ce que j’écris et voir ce que je dessine. Elle me tague et me commente et me like et me cite sans cesse sur facebook.
Ma sœur sort avec des écrivains qui sont aussi des amis chers. Ma sœur parle aux insectes et veut élever des fourmis. Ma sœur comme moi ne peut vivre qu’avec un chat à ses côtés, la petite Po fusionnelle. Je crois que comme moi si elle pouvait se passer de manger, elle le ferait. Quand elle me fait la bise elle mets ses mains sur mes petites épaules et bondit d’une joue à l’autre comme si elle était sur des ressorts.
En elle grouille des peurs primordiales qui remontent la nuit dans des rêves de film d’horreur. Son vocabulaire depuis longtemps m’a contaminé et fait partie de mon sang. Aon. Ail. Arenier. Bonwi. Crisme. Dardjére. Dessur. Gnéseries. Gueros. HAMAH. Monjol. Ossetie. Picerie. Pliaisir. Querisse. Tute. Pour ma sœur tout ce que je fais, tout ce que je suis est toujours bon et justifié. Grâce à elle je me sens accepté dans le monde et je sens que je ne pourrai plus jamais m’effondrer dans le non-dit. Je pourrai écrire. Je pourrai parler. Je ne serai plus seul.
Je veux qu’elle soit présente à ma fête de 70 ans.
Ma sœur n’est pas ma sœur, mais c’est ma sœur.
Go, Sophy!