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Le refuge

28 octobre 2008

Les premiers temps où je donnais des cours, le moment de dormir était toujours horrible – j’étais envahi par un stress et une peur suffocante, les viscères contractées, une grande lourdeur dans la poitrine. J’avais envie de me recroqueviller sous les couvertures comme un foetus, de serrer les dents, de disparaître. Je ne faisais pas qu’avoir peur : j’étais terrorisé, tétanisé d’effroi. Je devais trouver une méthode pour me calmer ou je me condamnais à l’insomnie. Alors, dans mon lit, dans le noir, je me concentrais sur des images. Je faisais ressurgir des amis d’enfance depuis longtemps disparus. On s’installait dans une auto, une vieille Ford rouge qui puait la cigarette. Puis l’auto s’envolait et on rejoignait notre forteresse volante. Je créais la situation la plus éloignée possible de la réalité qui m’attendais le lendemain. J’y mettais toute l’énergie possible. J’essayais de me captiver moi-même, que mon aventure absurde devienne assez fascinante pour échapper à la terreur. Je me créais un refuge hors du monde.

Au secondaire, j’allais à de Mortagne, la plus grosse école secondaire du Québec. Quand les cours étaient terminés, on attendait que les cinquante autobus scolaires sortent les uns après les autres du stationnement. Le mien était le dernier à sortir. Il passait un bon vingt minutes immobile. Souvent, je n’avais pas d’amis avec qui parler. Je m’assoyais à l’avant de l’autobus, seul. Au début, je m’ennuyais terriblement : ces moments me paraissaient interminables, intolérables. Je ne supporte pas l’ennui, l’ennui est comme une brûlure, un feu dévorant. Je panique presque, quand je m’ennuie. Je n’avais pas encore l’habitude de lire, je n’avais pas encore de walkman. Avec le temps, j’ai fini par trouver un échappatoire. Je m’installais confortablement en avant avec mon sac sur les genoux, je regardais la file d’autobus sortir lentement à la queue leu leu, et je rêvassais. Je me concentrais de toutes mes forces et j’imaginais des histoires. J’arrivais à créer un intense divertissement sans autre ressource que mon propre esprit. J’ai fini par adorer cette attente interminable dans l’autobus; c’était souvent le meilleur moment de ma journée. J’avais hâte à ces moments. Je ne m’ennuyais plus.

L’imagination meurt surtout quand on n’a plus besoin de l’utiliser. Pour fuir la terreur l’imagination peut devenir aussi nécessaire que l’air. Ces dernières années, je laissais mon imagination mourir, peut-être parce que je ne ressentais plus de véritable terreur, de véritable danger. J’étais anxieux, inquiet, parfois déprimé, mais je ne savais plus ce qu’était la peur – celle qui envahi le corps, qui paralyse l’esprit. Je n’avais plus rien à fuir. Je me couchais le soir et ressassais interminablement les mêmes soucis futiles, monotones et lourds, qui ironiquement prenaient souvent la forme de « je ne crée plus rien, pourquoi? ».

L’imagination naît également d’une lutte contre l’ennui. Il y a bien longtemps que je refuse catégoriquement de m’ennuyer. J’ai développé des tas de stratégies pour ne jamais, jamais m’ennuyer. Quand je suis seul pour manger, quand je prend l’autobus, ou même aux toilettes, je lis toujours et sans arrêt. En marchant seul, j’écoute mon iPod. En faisant la vaisselle, j’écoute de la musique. Quand je ne suis pas seul, je parle sans arrêt. Une partie effroyable de mon temps libre est passé sur internet ou à fouiller mes archives sur mon disque dur. Je remplis le moindre moment libre avec quelque chose : internet, livre, musique, etc. Comme s’il fallait à toute vitesse boucher tous les trous, pour ne pas ressentir la brûlure de l’ennui. Si j’ai le malheur d’oublier d’apporter un livre aux toilettes, je panique presque à l’idée de l’ennui qui rôde, qui s’approche de moi. Je ne me laisse plus aucun espace libre pour rêvasser. La crainte de l’ennui est trop forte. C’est devenu compulsif : je sens que je serais incapable de prendre l’autobus sans lire : depuis plusieurs années, je me dis que je dois utiliser ce temps là pour lire, qu’il est impératif de lire le plus possible. Si je me retrouve debout, coincé entre deux personnes, je vais me tortiller et enfiler mes écouteurs dans mes oreilles. Comme si je devais être distrait en permanence. Toujours dérangé de mes propres pensées par celles des autres. Empêcher le moindre monde intérieur de naître en imposant de force la présence de celui des autres. Déjà, adolescent, revenu chez moi après mes rêveries dans l’autobus, je me précipitais sur la télé, l’ordinateur, le nintendo ou mes bandes-dessinées, pressé de me divertir. Vinrent les walkman, discman, iPod, l’époque virulente d’internet, et c’était foutu. Impossible de s’ennuyer. J’ai éradiqué l’ennui de ma vie; et par le fait même, une grande partie de mon imagination.

C’est la peur qui me rappelle la genèse de l’imagination. L’imagination est un système d’auto-défense. Une manière de fuir le monde. Une façon d’échapper à la réalité. Un refuge contre l’insupportable. La peur est insupportable, mais elle ne durera pas. Que me restera-t-il ensuite?

Il faudra réapprendre à s’ennuyer.

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