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Au lit avec Darnziak

5 janvier 2013

Dualisme ontologique et séduction

01 

J’ai traversé 2012 d’un bord à l’autre en célibataire. Ce n’est pas parce qu’il ne se passait rien. On m’a envoyé des signaux jusqu’à m’aveugler, des rayons de phares directs dans les yeux, allez regarde par ici Jean-Philippe, je suis là disponible regarde-moi, subit mon attaque de décolleté bande sur mes photos à poil mes offres de threesome mes allusions mes clins d’oeil, wink wink hint hint, petit gars quioute tu dois t’en pogner des chicks hein, as-tu vu le beau petit cul tight après ça, et puis hautain j’ai fait comme si je ne voyais rien et n’entendait rien, comme si j’étais au dsu dsa, comme si j’étais sélectif, parce que je le suis, et puis j’ai passé quelques nuits avec des filles (si peu), je suis tombé amoureux comme un cave d’une cause perdue, mais surtout je me retrouve à la fin de l’année avec l’impression de ne pas avoir progressé dans ce domaine d’un iota. Je ne sais absolument pas ce que veut dire « séduire ». Je peux réciter une définition comme un étudiant à l’examen final mais ce sera du par cœur. Quand une fille me plaît, je deviens cul-de-jatte, je perds mes moyens si jamais j’en ai. Comme autrefois. Au début 2012 après une rupture qui suivait une vie de couple de 8 ans je me disais je suis devenu très différent de celui que j’étais plus jeune, ah comme je suis mature en comparaison avec le début vingtaine ridicule de première blonde à 23 ans, d’ailleurs pour prouver cela j’ai écrit ma série d’histoires de trash geek love en me disant, ah! que j’étais jeune et naïf, frustré et geek, hohoho, que le temps à passé, comme j’ai évolué! Que tout cela est comique avec la distance, maintenant je suis un adulte! Mature! Sérieux! Apaisé! Mais les événements style camion de vidange qui te recule dessus de 2012 m’ont montré le contraire, non mon cher, tes vieux patterns n’attendaient que d’être réactivés, t’es encore le même petit geek désemparé qui ne comprend rien du tout aux femmes, le même average frustrated chump qu’en 2002 avant tes blondes, ta vie de couple t’a appris à faire le ménage faire la vaisselle faire l’épicerie faire le lavage récurer la bolle, mais ne t’a rien appris au chapitre de la séduction, tu la prenais pour acquis ta blonde, jamais tu ne la séduisais, d’ailleurs c’est elle qui t’as sauté dessus, tu n’as rien eu à faire, tu t’es laissé embarquer et avec elle tu n’en as pas profité pour acquérir la moindre habileté nouvelle, une belle fille comme elle tu ne lui disais même pas que tu la trouvais sexy bandante même si tu l’appelais tout le temps « ma belle ». T’es encore un fucking débutant. T’as pas encore de XP. Tu ne sais rien du tout et tu pars à zéro. Recommence le grinding autour du village du début mon gars, t’es pas prêt d’apercevoir le donjon du boss de la fin. Alors en 2012 comme un total newbie j’ai lu des sites et des livres sur la séduction et j’ai eu l’impression de comprendre de quoi il s’agit en théorie, je suis formé pour comprendre les théories, j’ai étudié et j’enseigne la philosophie, hein, j’ai un esprit qui théorise sans arrêt, fasciné par l’abstraction, se retirer au-dessus de la vie pour la saisir dans ses grandes lignes conceptuelles, c’est moins salissant, y’a rien là, bien sûr je peux tout comprendre en théorie. Mais je ne comprends rien, comme quand un étudiant me dit « je ne comprend rien » parce qu’il ne saisit pas où je veux en venir et je dois trouver comment allumer l’étincelle dans ses yeux. Comme pour l’écriture il y a quelques années, je me gave de principes, de stratégies, de trucs essentiels à ne pas oublier, et ce petit système est fascinant mais en pratique quelque chose me bloque, me fige dans mon élan, une flèche me descend en plein vol, la séduction je ne sais pas comment ça marche, même lorsque j’ai bu pas mal, même quand je suis tout électrifié par le désir, arrive à chaque fois le moment où je ne sais pas quoi faire, comment le faire, surtout en chair et en os parce qu’étrangement sur mon clavier j’y arrive davantage, je sais même pas comment je fais. Ce n’est pas comme si je n’avais aucune confiance en moi, il y a quelques années j’étais terrifié par l’idée d’affronter une classe et à présent l’enseignement est de loin ce que j’aime le plus en cette vie, donner des cours de philosophie est pour moi une pure shot d’endorphine à chaque fois répétée, j’adore ce que je fais, et pour un introverti comme moi capter l’attention divertir faire rigoler diriger une classe faire apprendre des concepts à des centaines de jeunes, ce n’est pas gagné d’avance, mais j’entre maintenant dans la classe sans crainte et ressort en flottant au-dessus de mes souliers comme si on m’avait casté le sort float dans Final Fantasy IV, alors si je peux « séduire » des classes entières, les mettre dans ma petite poche arrière et être respecté et aimé en enseignant une matière difficile qu’ils n’ont même pas choisie et n’aiment pas trop a priori, séduire une femme ne devrait pas être si difficile mais alors pourquoi encore cette impression de ne rien y comprendre? Ce n’est pas comme si j’étais repoussant sans intérêt ou de mauvaise compagnie, 2012 est l’année où j’ai eu le plaisir de m’être fait des tas de nouveaux amis, bien plus qu’à aucun autre moment de ma vie, et je ne parle pas d’amis facebook, je parle d’amis réels avec qui boire et se raconter nos vies dans le détail, des gars autant que des filles, j’ai renoué avec les anciens amis, tout le monde sans exception, même celui qui m’avait été arraché par des passions evil, je suis tout abasourdi et débordant de gratitude, ne saisissant pas trop bien pourquoi autant de gens me serrent dans leurs bras à la fin des soirées que je passe avec eux, pourquoi subitement je reçois ce feu nourri d’amour qui me pleut dessus sans interruption, sans que j’ai l’impression de faire quoi que ce soit de spécial, sinon m’ouvrir un peu plus qu’auparavant peut-être, les occasions de développer des amitiés crépitent partout autour de moi et j’en rate même par négligence ou distraction, bref ça n’a jamais été aussi bien dans ma vie côté amitié, j’ai des tas d’amis que j’aime et qui m’aiment, alors pourquoi la séduction m’apparaît encore comme quelque chose d’incompréhensible, pourquoi je me sens si à côté de la plaque, qu’est-ce qui est si différent dans ce domaine, comment expliquer ça, qu’est-ce qui cloche? Les femmes furent mon sujet de conversation principal au cours de l’année 2012. Sujet obsessif. « T’es resté chez ton ami jusqu’à 5 heures du matin, de quoi deux gars peuvent bien parler? Des filles! » Je n’ai aucun scrupule à en faire le sujet central de mes histoires – il n’y a que deux grands sujets, de toute manière, l’amour et la mort, je ne sais plus qui a dit ça, Woody Allen je crois un moment donné mais ça doit venir d’ailleurs. Des filles j’ai parlé abondamment, mais j’ai aussi écouté avec avidité tout ce qu’on pouvait m’en dire et j’ai observé ce qui se tramait autour de moi, j’ai posé des tas de questions, j’ai pris des notes. C’est pratique, j’ai plein d’amies. On m’a dit : « Il faut que tu t’oublies, que tu fasses sentir à la fille que ce qu’elle dit est important, qu’elle compte pour toi, que tu l’écoutes », ouais, oké, parfait, c’est bien ce que je fais, je connais ça, c’est ce qui m’a permis de me faire des tas d’amis, je suppose, mais si la fille me plaît le moindrement, je paralyse, je me méfie, je me referme, je crains que ce soit comme quand j’avais 20 ans un allez-simple vers le dreadful friend zone, mais qu’est-ce que tu veux si tu ne veux pas d’autres amis, une blonde plutôt, mais c’est quoi ça une blonde, on dirait que je ne le sais plus, c’était la fille avec qui j’allais faire l’épicerie, celle avec qui je soupais en racontant ma journée de travail, celle que je semblais de plus en plus assommer avec mes récits à propos de lectures de disques de films, ce débit incessant de culture, celle pour qui je nettoyais la salle de bain, c’était ça une blonde, ou bien celle qui me réveillait en pleine nuit pour me crisser la main entre ses jambes écartées chaudes humides pour m’arracher mes bobettes pour me grimper dessus celle qui s’imaginait que j’étais sans libido, que je ne regardais jamais ça moi de la pornographie dans le bureau à côté pendant qu’elle dormait, moi qui ne faisait jamais aucune avance, qui ne la séduisait pas qui l’embrassait doucement en revenant du travail mais ne la plaquait jamais sur le mur pour lui dire beubé t’es tellement sexy j’ai envie de te fourrer sur le plancher direct dans le corridor en plein jour, non je ne disais jamais ce genre de vulgarité ça me répugnait ou me faisait peur, je ne disais pas t’es tellement belle que je veux te faire trois petites filles identique à ta photo de première année, je ne lui disais pas que même si j’ai downloadé des milliers de fucking terabytes de porn dans ma vie jamais j’ai vu nulle part une fille avec des seins aussi parfaits sublimes magnifiques et bandants que les tiens, je te jure, une blonde c’est devenu pas mal de regrets de confusion, aussi, de lettres d’amour jamais écrites alors que je suis un ossetie d’emo romantique pire que le pire des crisses de roméo tristan empoisonnés pendus brûlés que vous pouvez trouver, bref c’est peut-être l’idée d’une blonde qui deviens confuse, je veux la famille les enfants baiser une meilleure amie en même temps, tout à la fois sans compartiments, mais où ça coince, où ça cloche, je pense que je le sais maintenant, que je le vois, il me l’a crié par la tête l’autre fois, excédé, un de mes amis de beuverie de confidence de filles il m’a dit : « ARRÊTE DE FAIRE SEMBLANT QUE T’AS PAS DE CORPS », oui c’est ça mon ossetie de problème, j’aimerais mieux ne pas avoir de corps, ma sœur pis moi on se le dit sans arrêt mais il y a un gros malaise autour de cette idée, d’ailleurs c’est ma sœur seulement dans nos esprits pas dans nos corps (si nous en avons un ce n’est pas garanti maigre comme on est), depuis que je suis jeune je me dis que ne jamais avoir à manger ça serait parfait, maudit corps pénible qui exige sans arrêt d’être rempli, fardeau lourd, inutile, mais pourtant j’apprécie la bonne bouffe, je voudrais ne jamais avoir à dormir – quelle perte de temps – même si une fois au lit je ne veux plus me lever, et puis le sexe, maudite démangeaison dégueulasse, maudite cochonnerie, regarde du porn branle-toi et débarrasse-toi de ça au plus vite, mais non, regarde-donc ton esprit depuis la puberté sans arrêt débordant de rêves de sexe, c’est ça qui clignote sur ton écran, tu adores ça avoues-le donc, tu veux une relation intense avec une fille qui inclut les conversations à n’en plus finir être exactement sur la même longueur d’onde partager tout ce qui est important et puis oui te coller dessus comme ton chat qui ne te lâche pas quand tu daignes enfin te pointer à l’appartement, non seulement t’a un corps mais t’es un animal en manque terrible de contact physique, les sens en pénurie asséchés presque morts, tu veux toucher être touché, t’as pas des mains de la peau pour rien, comme ta première blonde que tu embrassais chaque fois que tu te levais du lit pour changer le disque pour aller aux toilettes, collé après elle sans cesse en fusion elle ne te lâchait jamais et tu rêves encore de ces nuits passés avec elle blottie le long de ton corps sa jambe repliée sur ta cuisse accoté sur ta queue bandée en permanence, mais pas juste ça, aussi fourrer toute la nuit jouer au marteau piqueur dans une plotte chaude humide ouais tout ces mots que tu n’osais jamais dire ni même penser, tu n’oses pas dire ces mots là mais c’est ça que tu veux aussi, trop de virtuel dans ta vie, le sexe trop souvent des images aseptisés sur un écran, des corps lisses épilés en plastique parfaits et interchangeables qui se pénètrent en silence sans contact sans choc sans traces, tu remplis un kleenex et le jette, ça ne sent presque rien, tu pouvais bien être surpris par les sensations et les grognements et les odeurs la nuit dans le lit ce combat obscur sous les couvertures l’hiver une empoignade et la sueur et les petits cris échappés par accident, bref tu brûles ben raide de désir sexuel comme n’importe qui comme tout le monde et c’est exactement ce que tu n’ose pas communiquer d’aucune manière à personne que tu vas cacher à tout prix dissimuler parce que tu penses que c’est mal que c’est salaud que c’est manquer de respect que c’est traiter les filles en objet sexuel, ah! C’est un problème métaphysique parce que le sexe nous rappelle qu’on est des corps, et c’est là le nœud étrange tu es pourtant un pur matérialiste, tu crois qu’il n’existe que des corps et pour toi l’humain est un animal sans prestige particulier d’ailleurs tu refuses d’en manger par conviction en l’égalité de la valeur de toute vie animale (ok tu triches avec le poisson ta gueule), tu te contredis espèce de nietzschéen terrifié par le sexe, tu agis comme un puritain au-dessus de ces considérations vulgaires de la chair, comme un crypto-chrétien platonicien dualiste cartésien, mais non, t’es un animal, t’es bestial et tu veux fourrer une belle femelle et les femelles veulent se faire fourrer par un mâle fringuant elles aiment ça c’est de la biologie et ce n’est pas aggresser l’égalité des sexes (à laquelle tu crois bien sûr ou peut-être pas puisque tu vénères les femmes comme des déesses intouchables ça aussi c’est un déséquilibre ce n’est pas une réelle égalité), et à ce moment du désir tu deviens toi aussi un objet, un corps, qui désire s’emboîter dans un autre corps, refuses-tu d’être un corps, un objet, donc divisible et donc mortel, voué à disparaître comme le reste de la poussière pulvérisée comme l’univers en entier, c’est ça qu’il faut simplement cesser de dissimuler d’avoir peur d’exprimer, vivre à l’aise avec l’idée d’être un corps un animal qui veut se reproduire une pulsion brute de vie, en Islande tu écrivais à ta sœur que ça t’écoeurais d’être distrait dans ton voyage par ton radar qui identifiait de belles femmes un peu partout autour de toi dans le traversier vers les îles Vestmann dans l’autobus vers Landmannalaugar, tu auras voulu la paix, avoir laissé ton désir derrière toi à Montréal, elle t’avait répondu « c’est parce que t’es vivant! c’est pour ça que tu vois des belles filles autour de toi, imagines-tu si tu ne les voyais pas, ce serait comme si t’étais mort », accepter la présence de ce désir et garder tout le reste de ce dont tu es capable et qui fait de toi cet ami que tant de gens veulent avoir dans leur vie, ton écoute, ton humour ta gentillesse ton ouverture et le reste, ami avec fucking bénéfices, c’est ce que tu désires, bref le problème de la séduction consiste à laisser s’exprimer le corps, et cesser d’avoir honte de sa petitesse malingre tordue maigre poilue, t’as une queue bandée entre les jambes, il te le disait ton pote, « la séduction, c’est sexuel, tu dois le montrer que tu la désires, lui faire sentir », mais j’ai toujours eu tant de difficulté avec ça, je ne suis pas un salopard grossier, un gros dégueulasse, un douchebag, un vulgaire, je suis au dsu dsa, le sexe reste un truc choquant souvent pour moi et j’aime mieux ne jamais en parler, hautain je me vante de ne jamais embarquer dans les conversations de gars qui consistent à dire, heille tchèque la pitoune au bar là-bas je ne lui ferais pas mal, lui as-tu vu les seins les jambes les fesses et je me camoufle en disant je ne traite pas les femmes de haut, moi, je les respecte moi, c’est-à-dire que je ne veux pas leur montrer que les regarde, que je les désire, que je les trouve belles, ah, c’est peu dire, sans arrêt foudroyé paralysé par l’effroyable beauté des femmes capables de me terrasser m’écraser sur place, elles sont dangereuses voilà ce que je me fais croire depuis mon adolescence, je me dis que je m’entraîne en serrant les dents à leurs parler comme si ce n’était que des humains neutres asexués, m’entraîner à ignorer la courbe de leurs seins leurs petits culs leurs hanches leurs longues jambes, pourquoi cet entraînement sinon la peur, la peur du rejet, la peur d’être vu comme dégoûtant et déplacé mais qu’est-ce qui est dégoûtant et déplacé, ta propre nature te dégoûte, toi l’espèce de bouddhiste qui veut saisir le réel tel qu’il est et ne rien en rejeter, et tu repenses alors quand tu retombais dans les draps en sueur après une bonne baise et que tu te disais, c’est une des choses les plus puissantes et fabuleuses et belles au monde et il faudrait recommencer tout de suite et le faire sans arrêt plusieurs fois par jour, le corps enfin pour une fois déchargé de toute tension, le corps détruit enflammé et l’esprit métal fondu mais tu n’étais pas tout à fait apaisé tu ne l’avais pas saisie, cette occasion, ce n’était pas toi qui l’avait prise, tu te laissais faire, passif tu attendais que ça lui tente, qu’elle te désire et non l’inverse, t’as un problème avec la notion de dominance, la domination tu n’y comprends rien, t’attendais qu’elle le décide et les fois qu’elle t’avais ridiculisé humilié parce que tu avais osé lui montrer que t’en avais envie, tu lui avais demandé timidement comme si tu quémandais sa permission en n’osant pas prendre ce que tu voulais comme tu le voulais, elle t’avais ris dans la face comme si t’étais un enfant « hein quoi t’as du désir toi? Haha! », alors que chaque nuit ce qui te conduisais au sommeil depuis ton adolescence ou même avant avec la princesse Leia c’était un fantasme d’une nuit de baise de confidences de connexion avec une telle ou une autre mais sans jamais mettre le plan à exécution hein et sans connaître les étapes qui y conduisent, c’est ça qui te paraît salaud pas désirer mais agir selon ce désir, et tu en veux à ceux qui y arrivent, qui prennent dans la réalité ce qu’ils peuvent, ceux qui se servent dans le buffet, all you can eat, yolo, demain on crève alors fourrons ce soir on va avoir du fonne beubé, tu leur en veut d’être puissants t’es comme le faible chez Nietzsche qui brûle de ressentiment devant les forts et leur volonté de puissance t’es le mouton qui s’enrage contre l’aigle parce qu’il dévore le mouton, t’es envieux voilà ce que tu es devant les séducteurs, c’est le problème de la faiblesse et de la force, tu refuses la position de force comme si c’était en contradiction flagrante avec tes intuitions égalitaristes et plus encore ta métaphysique moniste où chaque aspect du réel est sacré et t’as toujours trouvé répugnant la volonté de puissance comme appropriation absorption d’une part de réel par une autre, déséquilibre, subordination, esclavage, obéissance, tu exècres l’autorité, mais t’as autant en horreur la dépendance et l’impuissance que tu connais si bien tu l’as vécue si souvent et tu rêve aussi de l’éliminer de ta vie de ne plus jamais te réduire à l’infériorité, toutes ces situations où on s’agrippe à plus fort que soi pour survivre, parasite, parfois tu préfèrerais la négation du vouloir vivre schopenhauérienne, le nihilisme total le dégoût de la vie elle-même avec sa nature répugnante et sa loi du plus fort à vomir, die life, mieux vaut l’inexistence, sortir d’ici au plus vite saleté de saleté et t’as envie de ressortir ton Quarto de Cioran, le prédateur qui dévore sa proie quand tu vois ça tu voudrais prendre la porte de sortie du monde te retirer prendre ta retraite avec ton nintendo et ton black metal les laisser dans leurs saloperies de corps allez-y entre-dévorez vous et fourrez-vous et de là ta facilité à avoir de l’empathie pour la position de faiblesse pour les victimes les pauvres les faibles les exclus les défavorisés marginaux handicapés et bien sûr tu seras carré rouge tu seras à l’extrême gauche, tu te dis, moi je n’exploite pas les autres, je ne les manipule pas, mais pourquoi tu penses encore que vouloir coucher avec une femme est de la manipulation, voilà l’idée à extirper de ta conscience à présent, la femme aussi le désire, satisfaire ce désir en elle est une bonne chose, parfois tu peux même le faire naître ce désir, tu es digne de le faire naître tu as tout ce qu’il faut il ne te manque rien, t’as la grosse voix et la bite entre les jambes, et tu sais qu’elle aimerait ça parce que t’as des fucking skills acquis à force de travailler fort poour faire jouir une femme pour qui ce n’était pas facile, faire cela sans que tu ai l’impression d’utiliser l’autre comme moyen pour se faire plaisir, comme tu t’es déjà senti utilisé, machin de chair destiné à conduire à l’orgasme, dildo vivant contre poupée gonflable animée, t’as un problème avec l’aggression que tu vois dans le sexe, carrément la violence, c’est brutal et physique, comme le ballon que tu reçois dans la face, tu dis haïr l’aggressivité et pourtant tu parles toujours trop fort et c’est étrange la musique que tu écoutes est tellement brutale que tu ne connais personne pour l’aimer comme toi ton death metal ton black metal ta musique d’animal féroce enragé berserker, tu ne peux pas vouloir sortir de ces relations de puissance, ce que tu veux tu dois l’avouer c’est you and me baby are nothing but mammals I want to fuck you like an animal mais pas seulement ça, une sorte de fusion, quelque chose d’autre que cette froideur et cette distance et déconnexion qu’on vit chaque jour de nos putains de vies solitaires vides glaciales, quelque chose de hautement sérieux et vital, mais de sublime et doux… Et puis c’est simplement ce qui reste à ajouter à mon arsenal, trouver la manière d’exprimer à une fille que je la désire sans la faire fuir sans être creepy sans être needy sans avoir peur sans devenir autre que ce que je suis, que ce soit quelque chose à offrir au lieu d’une faveur à quémander, développer la faculté la capacité d’être attirant et pas seulement confortable, ajouter le désir à l’amour, désirer à ma manière et là tout reste à inventer je n’ai pas de modèle autre que de la vulgarité vulgaire ou la vulgarité ironique de ma clique de littéraire second degré qui exagèrent leur trash un peu comme je fais ici je suppose, je suis encore heurté par l’efficacité de leurs paroles et leurs gestes, de voir mes amies s’allumer devant le désir de leurs chums, parce qu’elles sentent bien tout de même l’amour vrai qui l’accompagne, leurs chums capables d’être des animaux sexués, des amants en même temps que des amis sensibles et doux, sans qu’il y ait de contradiction apparente, leur désir pour un chum fort et protecteur et drôle sensible à la fois, et moi qui ne dit rien, qui ne complimente jamais les femmes et ne frôle jamais personne comme si je ne ressentais rien et ne désirais rien déjà Bouddha fake de Villeray qui attends que la fille tombe du ciel dans mes bras comme cela arrive deux fois par année alors que je demeure encore émerveillé écrasé intimidé par la présence d’une belle fille comme si elle était infiniment supérieure à moi une impératrice sur son haut trône pourquoi la complimenter elle le sait déjà qu’elle est une beauté fatale sublime toute mon énergie concentrée à résister à l’assaut de ses yeux son sourire sa peau le désir violent de l’enlacer, juste serrer les dents pour ne pas être soufflé par le vent, mais je devrais m’habituer à cela et juste transmuter cette admiration démesurée gonflée par la terreur en amour sincère et léger, je suis entouré de belles filles, mes amies sont belles, m’endurcir face à la beauté arriver à l’apprécier à l’aimer, ne plus en avoir peur ne plus ressentir la beauté comme une menace un danger terrible capable par magie de me transformer en être rampant balbutiant, c’est ce que je dois tenter de faire en 2013, et trouver ma manière de dire, heille beubé t’es tellement belle que mes jeans se déchirent par la magie de ma queue radioactive quand je pense à toué… heille beubé t’es tellement fascinante que je partirais en generation ship avec juste toué peupler une planète lointaine et je nous clonerais pour qu’on puisse tomber amoureux à répétition des milliards de fois jusqu’à l’extinction des galaxies… inventer de nouveaux gestes, au lieu de terminer déçu ces soirées où la fille de manière évidente avec ses petits rires après la moindre de mes paroles me mime en grosses lettres qu’elle n’attends que ça et je ne fais aucun move ou bien c’est moi qui en a crissement envie et qui ne fait pourtant aucun move même pour juste tester si c’est possible tâter le terrain so to speak elle a accepté de venir me voir chez moi je pourrais bien au moins vérifier si ça lui tente qui sait peut-être qu’elle a ça en tête aussi au lieu de rester là paralysé à jouer le distant à même pas être capable d’être le vrai ami chaleureux que je suis pourtant toujours puisque pour moi c’est facile d’aimer tout le monde, et puis aussi avouer qu’il est faux que je n’y pige rien que je sais parfois quoi faire et comment le faire sans même savoir d’où ça vient en repensant à ces moments où je me suis échappé on dirait par accident séduction non planifiée spontanée qui a étrangement fait éclater de rire des filles et allume instantanément le désir dans leurs yeux et ne plus ressentir de dégoût pour moi-même par la suite ne pas se sentir douchebag pour autant d’avoir dit ces aberrations comiques de les avoir regardées comme si je voulais brûler leurs vêtements dans l’acide les fixer comme si mes yeux étaient des tentacules hentai d’avoir frôlé leurs jambes avec une maladresse parfaitement calculée d’avoir fait ça sans même penser à les séduire sans plan sans théorie mais oui c’était mon corps qui parlait qui disait simplement je te trouve belle et j’aimerais te faire l’amour, tout cela n’est que ma nature qui s’extériorise la nature elle-même dans sa force sa puissance sa cruauté sa laideur sa beauté une autre étape dans la mutation une station de plus sur le mont des épreuves, c’est ma mission de 2013 devenir ce que je suis un animal avec une queue entre les jambes ARRÊTER DE FAIRE SEMBLANT QUE JE N’AI PAS DE CORPS.

Ce qui remonte à la surface I : L’amitié

19 février 2012

Durant une période de transition, il est plus facile saisir sa vie dans les grandes lignes – au contraire des époques glaciaires de stagnation dans la routine, où tout devient opaque à force d’immobilité. Quand tout est cassé au moins les choses se déplacent.

Pour voir plus clair, je n’ai pas de travail d’introspection à faire. Nul besoin d’agent gouvernemental mandaté pour descendre dans l’escalier de l’inconscient. Je n’ai qu’à rester au bord et observer ce qui remonte à la surface. Les concepts échouent sur le rivage, il suffit de les ramasser.

De ma vie en février, j’ai recueilli trois idées.

Commençons par la première – les autres seront pour des textes ultérieurs.

1) L’amitié
« Tu vas devoir te retrouver », m’a-t-on dit, après ma rupture. « Tu devras te demander qui tu es en dehors de ta relation ». Sur le coup, j’étais surtout un gars qui ne savait pas cuisiner. Pour le reste, j’avais le sentiment de savoir qui j’étais – d’avoir identifié mes forces et faiblesses depuis longtemps. Retrouver quoi, au juste? La solitude? Je ne voyais pas autre chose.

Pourtant, on avait raison de me dire cela. Je suis effectivement en train de retrouver des aspects de moi négligés. Je n’ai pas eu à les chercher. « L’ancien moi » est revenu par lui-même. Plus rien ne le retiens. C’est comme retrouver en dessous de son lit un objet précieux qu’on a oublié d’avoir perdu. Je retrouve ce que j’étais, sur le rivage.

L’ancien moi qui ressurgit me dit clairement ce qui compte le plus pour lui. Il effectue un déplacement parmi mes valeurs. Il me dit ceci :

« Va voir tes amis. Va t’amuser. Va discuter avec eux. Parles-leur : sur facebook, par courriel, par téléphone, mais surtout, invite-les chez toi, ou sort les voir. »

Et je lui obéis.

* * *

En couple, tout cela s’était résorbé. Il est difficile de savoir pourquoi, et je ne veux blâmer personne d’autre que moi-même. C’est une forme de décision que j’ai prise, de manière obscure. J’ai décidé de laisser l’amitié s’étioler et disparaître de ma vie. Je n’en formais plus de nouvelles depuis des années. Je ne chercherai pas ici ce qui s’est passé exactement – ce serait de l’introspection, je ne veux pas creuser mais seulement attraper ce qui apparaît.

Une seule chose : en couple, le schéma standard d’une rencontre amicale est ceci : « organiser un souper avec un autre couple, une fin de semaine, avec quelques bouteilles de vin. » Cela implique le restaurant, ou de cuisiner toute la journée. Deux gars, deux filles, discussions autour d’une table. Je n’ai jamais trop aimé ce genre de truc. Nous n’étions pas à l’aise là-dedans, ni elle, ni moi. Pourtant, je ne me permettais plus grand chose d’autre. Oh, je voyais bien quelques gens de temps à autre, souvent dans des événements sociaux, des gens que j’appelais « des amis », mais cela restait épisodique. Je sentais que ce n’était pas cela, l’amitié. Il manquait quelque chose.

Je n’invitais personne chez moi. Je n’allais jamais prendre un café avec quiconque. Je n’allais chez personne. Personne ne m’appelait, je n’appelais personne. Je ne recevais plus de message facebook, je n’avais plus aucune correspondance par courriel. Je ne voyais que mes collègues au travail et ma blonde chez moi.

Mes seuls vrais amis étaient à Québec et je les voyais rarement. Pourtant, deux ou trois fois par année, je sentais qu’il était temps pour moi de partir seul, de prendre l’autobus interurbain, et d’aller les voir. Payer cher juste pour aller discuter avec des gens, que cela est improductif, non? Inutile? Inefficace?

De mon retour à Montréal en 2005 jusqu’à tout récemment, j’avais l’impression de ne pas avoir un seul ami véritable en ville.

* * *

Dans ma hiérarchie de valeurs enfantine, mes amis étaient pourtant au centre. J’avais toujours au moins une amitié en cours, quelque part en suspens au dessus de ma tête. Une amitié à poursuivre, à faire. Une amitié comme une histoire qui se déroule, qu’il faut continuer, dont on veut connaître le prochain épisode. Quelque chose d’inachevé. Quelque chose de vivant, qui a besoin de moi. Une sorte de lien, de correspondance, une continuité. Se sentir relié à distance. C’est constamment avoir envie de voir ses amis, c’est être toujours en train de planifier de nouvelles rencontres – une soif, une urgence. C’est créer sans arrêt des occasions, ou saisir toutes celles qu’on nous présente. C’est l’idée qu’il va de soi – autant chez moi que chez l’autre – que ça nous tente de nous voir, qu’il faut se voir, dès qu’on peut. Presque une forme d’obligation morale. Ne pas oublier cela, ne pas le négliger, le placer en priorité. Des rencontres avec une tonalité toute différente : ce ne sera pas une occasion unique, c’est la suite de celle qui précède, cela se poursuivra. L’amitié peut se poursuivre toute une vie.

Tout cela était disparu. La première belle nouveauté, dans ma vie en 2012, c’est le retour de l’amitié de ce type – identique à celles de mon enfance et adolescence. L’amitié d’avant le couple, son véritable concept. Son retour à sa place, au sommet de ma hiérarchie de valeurs personnelles. L’ancien moi me dit : c’est plus important que le travail (que pourtant j’adore), plus important que la philosophie et l’art (qui pourtant me passionnent). Certainement plus important que mes conditions matérielles de vie, ma sécurité financière, l’instinct de conservation. Je suis d’accord avec cette idée remontée de loin. Voilà ce qui me convient. Voilà comment ma vie doit être organisée pour que j’y sois à l’aise, pour ne pas vivre dans l’incessant manque ou l’impression tenace d’oublier de faire quelque chose de très important. L’amitié est la plus belle source d’intensité dans ma vie en ce moment – la plus belle possible, je crois.

Comment l’amitié est-elle réapparue? Pourquoi subitement ai-je des tas d’amis qui ont envie de me voir, que j’ai envie de voir? Difficile à dire. Quelques pistes : je me sens plus ouvert que durant la période précédente. Je n’ai rien à cacher, ni rien à conserver pour une personne unique. On peut être trop fidèle, lorsqu’on est en couple : se réserver entièrement pour une personne, ne plus se partager avec les autres, se refermer sur un cocon étanche, bien au chaud. Mais quand la communication se bloque dans le couple, quand on ne peut plus se confier à sa blonde, quand on est incapable de parler contre elle à l’extérieur parce qu’on l’aime… alors ce qui est le plus central, le plus intime, reste paralysé à l’intérieur, on ne peut plus rien dire à personne, on fige. On bloque. Je ne pouvais même plus me parler à moi-même dans mon propre journal. Je vivais dans le non-dit, au point d’arriver à me cacher des choses complètement – à vivre dans le déni. Étrange situation pour quelqu’un qui a passé des années à trop ressentir l’impact du monde sur sa conscience – voilà que des pans entiers, trop souffrants, tombaient dans l’obscurité. Je ne voulais pas y penser, je n’arrivais même pas à y penser. L’amitié ne peut pas prendre sa place, là-dedans. Comment être ami avec quelqu’un, si on est si fermé, replié sur soi à ce point?

Maintenant toutes barrières ont éclaté et je suis ouvert. Je peux raconter tout – souffrances comme joies, passé comme présent. Mais plutôt que de faire de moi quelqu’un de négatif, au contraire la chaleur revient, l’humour revient, la joie revient. J’ai perdu en chemin presque toute ma colère, je n’ai presque plus de frustration. Il m’en reste des traces ténues qui s’évaporent tranquillement. J’ai encore des attaques de tristesse, mais je ne suis plus crispé, compact, coincé. Je laisse passer les courants d’air. Peut-être qu’on le sens : je suis disponible, je suis capable d’être présent dans la vie de quelqu’un d’autre, rien ne me retiens ailleurs, je suis capable d’être.

On dirait que certains n’attendaient que ça pour avoir envie d’être mon ami.

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Je suis particulièrement heureux du retour dans ma vie d’une activité disparue depuis mon adolescence : jouer à des jeux vidéos avec des amis. J’ai en ce moment, en cours, trois parties dans trois jeux avec trois amis différents : New Super Mario Bros. Wii, Super Mario World, Megaman 9.

Après une première soirée de jeux avec un ami dans mon appartement nouvellement vide, après avoir passé la soirée à éclater de rire après des morts à répétition à New Super Mario Bros. Wii, après avoir lancés des cris de triomphe à chaque réussite, lancé des blasphèmes effroyables et les lancé les manettes sur le divan, je me suis dit, profondément étonné, les larmes aux yeux comme enfant : « Mais pourquoi me suis-je privé de ce plaisir si intense pendant de si nombreuses années? Pourquoi avoir permis que le fonne disparaisse de ma vie? Parce qu’un adulte doit travailler et s’occuper de choses sérieuses? Parce que le jeu est improductif, une perte de temps? Je n’ai jamais cru cela pourtant. » C’était comme un noël d’enfance, un épisode de pure joie intense.

Durant la période précédente, je jouais aux jeux vidéos clandestinement. Je jouais sur des consoles portatives, les écouteurs dans les oreilles, presque en cachette, sans en parler à personne. Je jouais seul.

Mais le vrai jeu, c’est avec un ami – sur le divan à gueuler comme des maniaques après la télé.

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Les amitiés adultes sont bien plus riches que celles de l’enfance et de l’adolescence. Elles ont lieu à de multiples niveaux de profondeur. Il y a les conversations sur le travail, les projets artistiques, la philosophie, la musique, la vie amoureuse, il y a les correspondances par internet, les sorties. Il y a aussi les jeux vidéos. Les souper de couple autour d’une bouteille de vin m’emmerdent. Allons marcher, prendre un café, jasons toute la nuit assis sur le lit, racontons-nous nos vies dans le détail deux trois fois, jouons à Super Mario World. Disons tout et faisons tout.

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Les amis nous acceptent comme nous sommes parce qu’ils n’ont pas besoin de supporter nos mauvais côtés – nous ne pouvons leur nuire. Les amis ne peuvent pas me reprocher ma négligence, ma procrastination, ma mauvaise humeur le matin. Pour nos amis, nous réservons ce que nous avons de meilleur en nous.

En bonus : avec des amis, tu obtiens d’autres amis. Le cercle s’élargit.

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Je rencontrerai une autre femme, éventuellement. Je vivrai à nouveau en couple. Mais la leçon que cette période de ma vie m’offre, c’est de ne plus jamais négliger l’amitié. Ne plus jamais la laisser disparaître de ma vie.

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Si je sens enfin que ma vie prend un autre tournant, qu’elle s’oriente à présent vers le haut,  comme une plante qui se déplie en cherchant la lumière, c’est grâce à vous. Votre amitié me rempli d’enthousiasme, me comble, je me sens accepté, aimé et vivant. Je vis seul, mais je me sens moins seul qu’à bien d’autres périodes de ma vie – je sens que vous êtes là, pas trop loin, et qu’on se reverra bientôt.

À mes amis, anciens, nouveaux, futurs : merci.